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Journée du Libre Educatif à Rennes

Le 7 avril 2023 à Rennes, le couvent des Jacobins a accueilli la Journée du Libre éducatif, organisée conjointement par les académies de Rennes et Nantes avec la Direction du Numérique Educatif. 400 participant•es ont partagé outils, pratiques et réflexions. L’événement a permis de démontrer et valoriser le dynamisme de celles et ceux qui créent et diffusent des logiciels et ressources éducatives libres. Il a aussi ouvert des horizons pour favoriser dans l’Ecole la culture des communs, de la coopération, de la publication ouverte.

Inventer

Le monde enseignant serait-il composé de bricoleurs et bricoleuses qui, pour échapper à des logiques de marchandisation, de dépendance, d’enfermement, fabriquent leurs propres outils, bâtissent leurs cabanes pédagogiques, y invitent leurs collègues pour tisser des communautés de pratiques ? Quelques exemples …

Emmanuel Zimmert est venu du Danemark pour présenter le projet La Digitale lancé en 2020. La plateforme est une boite à outils devenue en quelques mois une mine d’or pour beaucoup d’enseignant.es en France tant les propositions sont riches, faciles et intéressantes à utiliser avec les élèves : mur et tableau blanc collaboratifs, enregistrement audio en ligne, jeu autour d’un buzzer connecté, générateur de QR codes, de flashcards ou de liens raccourcis, découpage de fichier audio ou vidéo, cartes heuristiques, contenus H5P, nuages de mots, convertisseur de fichiers, constitution aléatoire de groupes, compte à rebours … L’objectif, témoigne l’enseignant, était de « proposer une vision et un modèle alternatifs qui ne soient pas guidés par la course au profit et la collecte de données. »

Avec le projet éRUDI, Gwénola Dubois et Guillaume Vinancourt, de Canopé, veulent faire des données ouvertes locales un matériel pédagogique : cela passe par un travail d’acculturation du monde enseignant avec des dispositifs de data print et des parcours de formation qui, sur un sujet et un territoire précis, amènent à récolter des données ouvertes, évaluer leur pertinence, travailler sur leur visualisation et leur communication.

Marion Gaudry et Annaik Guillom racontent comment plus d’une centaine d’élèves, du collège aux CPGE, de Guingamp à Alès, ont mené la traduction en français d’un livre de jeunesse allemand qui a pour particularité d’être en licence libre : Ada & Zangemann. Dans ce conte moderne, l’héroïne est une petite fille débrouillarde qui invite à retrouver le pouvoir d’agir sur la technologie. Ce beau travail a été réalisé de façon collaborative grâce aux outils de la Digitale Digipad et Digidoc.

Un enseignant, Philippe Logiou, et un lycéen, Bastien Roux, présentent Ecovoit qui se déploie au lycée Rabelais de Saint-Brieuc : initié par les écodélégué•es du lycée, le projet prend la forme d’une application de covoiturage, utilisable par tou­tes, intégrée à l’ENT donc sécurisée, avec pour triple objectif d’agir pour l’environnement, de faire des économies et de favoriser les liens.

Professeur de technologie dans l’académie de Nantes, Sébastien Canet a développé son propre logiciel, Blockly@rduino, pour travailler la progressivité dans l’apprentissage de la programmation et veiller à ce que, à tous les niveaux, il y ait toujours des difficultés à surmonter.

Enseignants dans les Hauts-de-France, Romain Debailleul et Pascal Beel ont amené leur lycée Carnot à faire la bascule vers l’utilisation de logiciels libres (Linux, Raspberry) : il a fallu dépasser certaines réticences, mais le projet fait désormais consensus, tant il présente des enjeux environnementaux (le recyclage des machines anciennes), économiques (l’équipement coûte moins cher) et sociaux (tous les élèves peuvent accéder facilement aux ressources).

Partager

Pour que la connaissance soit accessible à tous et toutes, le monde enseignant est-il prêt à une révolution culturelle : celle de l’éducation ouverte qui invite à partager en ligne les cours, les séquences, les supports, les outils … ?

Membres de la chaire Unesco Relia, Colin de la Higuera et Mélanie Pauly Harquevaux éclairent le défi essentiel que constituent les Ressources Educatives Libres (REL) : « des matériels d’enseignement, d’apprentissage et de recherche sur tout support - numérique ou autre - relevant du domaine public ou publiés sous licence ouverte ». Par-delà la gratuité, les REL reposent sur les principes des 5 R : Récupérer (le droit de prendre la ressource, de la stocker, de la dupliquer), Réutiliser (le droit d’utiliser ces ressources en particulier dans ses cours, mais aussi sur un site web ou à l’intérieur d’une video), Réviser (le droit d’adapter, de transformer, de traduire), Remixer (le droit de créer une nouvelle ressource en mélangeant des morceaux de ressources existantes), Redistribuer (le droit de diffuser des copies du matériel original, le matériel modifié, le matériel remixé).

L’enjeu parait essentiel : favoriser la diffusion de la connaissance par-delà le cout des livres, des formations ou des logiciels. Face à un tel chantier, une telle utopie, demeurent des questions : où les trouver ? comment construire une plateforme de données qui permette de les parcourir intelligemment ? comment garantir la qualité d’une REL ? comment permettre la sérendipité ? … Colin de la Higuera et Mélanie Pauly Harquevaux le rappellent : le partage de ressources entre pairs se développe actuellement. Mais « si on ne met pas de licence, c’est qu’on interdit. Il faut explicitement autoriser l’autre. On ne peut pas choisir avec qui on partage et être ouvert, même dans l’esprit. » Pour devenir « open educator », il faut aussi apprendre le fonctionnement des licences Creative Commons, êtrer et travailler en réseau. Le travail sans doute commence : il faudra d’abord convaincre les enseignant•es, et ce dès la formation initiale, que partager, ce n’est pas être dépossédé•e de soi, c’est augmenter son agentivité, son pouvoir d’enseigner.

Un site de Caroline Guedan et Perrine Douhéret peut avoriser cette acculturation des enseignant•es.

Emanciper

Peut-on acculturer aussi les élèves aux communs de la connaissance ? Et s’il s’agissait dès le départ de rendre l’École un peu plus wikipédienne ?

Un atelier animé par Jean-Michel Le Baut, enseignant à Brest et formateur DRANE, ouvre des pistes de travail pour faire de la culture un commun jusque dans l’Ecole : c’est-à-dire moins une culture patrimoniale, sacralisée, fermée, qu’une culture partagée, ouverte, vivante, contributive, où chaque élève peut circuler et agir librement pour devenir à son tour créateur de savoirs et de productions en ligne. C’est que les élèves ne nous ont pas attendus (et sans doute nous attendent-ils encore !) pour participer à la « société de la connaissance » comme en témoignent leurs nombreuses interventions artistiques ou tutoriels en ligne : que fait l’Ecole de ce désir de créer et de partager ?

L’atelier témoigne de nombreuses pratiques enseignantes qui à tous les niveaux favorisent cette participation des élèves à la culture : par la création vidéo, la webradio, des blogs de classes ou encore via l’outil libre de cartographie UMAP associé à Open Street Map. L’école de la participation se fait alors école de la publication ouverte. Par exemple, un atelier d’écriture créative et recréative débouche sur la question de savoir s’il est pertinent de publier sur un blog les belles productions ; les élèves mènent alors des recherches sur la propriété intellectuelle, s’interdisent au nom du droit patrimonial et moral de l’auteur de diffuser leurs réécritures d’un poème de Prévert, s’autorisent en revanche à diffuser leurs productions personnelles en choisissant en toute connaissance de cause une licence Creative Commons. Par exemple aussi, les élèves créent des tombeaux numériques pour des personnages de tragédies, interrogent ce que le numérique métamorphose dans notre relation à la mort, apprennent à « anticiper le devenir trace de leur présence en ligne » (Louise Merzeau). Par exemple encore, d’autres confient des smartphones aux enfants du roman Sa Majesté des Mouches, éclairent les sociabilités nouvelles qui se nouent et se dénouent ainsi, expliquent la nécessité d’un accompagnement éducatif des enfants dans les territoires numériques.

Ces classes contributives favorisent une autre relation aux savoirs. Les élèves sont « empouvoirés » : ils acquièrent de la puissance d’agir, d’apprendre, de créer, de transmettre. Un rêve est alors exprimé : que le droit d’auteur se transforme en droit de chaque élève à devenir auteur ! Libérer les savoirs de l’Ecole, libérer la littérature du livre, libérer les élèves du numérique dans sa capacité d’emprise et d’enfermement : la question du libre apparaît alors comme un enjeu d’émancipation, technique, éthique, esthétique, politique.

Soutenir

Comment soutenir le développement des communs numériques dans l’éducation ? se demandent les dernières interventions de la Journée du Libre éducatif 2023. Acteur des réseaux coopératifs, Michel Briand rappelle qu’apprendre à publier et à coopérer, cela reste rare : aucun établissement en France n’a encore de plate-forme de REL ; à l’Ecole, on apprend surtout à cacher sa copie ; même dans un appel à projets institutionnel, les différentes propositions restent secrètes comme si elles ne gagneraient pas à s’enrichir d’être publiques et mutualisées. Il appelle au recyclage jusque dans le monde des idées et à la compostabilité des projets pour qu’ils deviennent pérennes : quelle académie aidera un enseignant partant à la retraite à faire en sorte que ce qu’il a produit lui survive et serve à tou•tes ? Pour Valérie Roméas, professeure–documentaliste et formatrice, il faut apprendre les Ressources Educatives Libres aux étudiant•es en master MEEF. Directeur territorial de Canopé Bretagne-Pays de la Loire, Marc Gimonet exprime la nécessité d’acculturer les enseignant•es aux communs, d’essaimer, de documenter.

Directeur du Numérique pour l’Education, Audran Le Baron se veut confiant et proactif : il rappelle la place qui est faite à la fois aux edtechs et aux communs numériques, logiciels et ressources libres dans la « Stratégie du numérique pour l’éducation 2023-2027 » publiée il y a quelques semaines ; il invite a œuvrer pour un numérique raisonné, pérenne et inclusif à travers l’exemple de la plateforme ENT ELEN (Environnement Libre pour l’Education avec le Numérique), bientôt commune aux académies de Rennes et Nantes. Tout au long de la semaine, les DRANEs des académies de Rennes et Nantes ont d’ailleurs uni leurs forces à travers une série de webinaires proposés aux enseignants sur des thèmes divers : Moodle, l’écriture collaborative, Do-doc, l’intelligence artificielle, les communs ...

Maître de conférences à l’université de Nantes en sciences de l’information et de la communication, Olivier Ertzscheid souligne enfin que les migrations sont longues, qu’elles le sont aussi quand il s’agit de passer de plateformes propriétaires aux plateformes libres. Et il appelle les enseignant•es à se percevoir comme militant•es : « Vous êtes celles et ceux qui transmettent l’agitation migratoire. Vous êtes contagieux et contagieuses. Avec d’autres, je vous en remercie. »

Voir en ligne : Compte rendu sur Le Café pédagogique

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